Avant la chute.
Antoine Carrière répond à la polémique sur l'IA et défend une vision optimiste face aux critiques sur l'éclatement de bulle d’investissement.
Il y a quelque jours, j’ai publié une tribune intitulée "La bulle de l'IA vient-elle d'éclater ?", dans laquelle je suggérais que toute cette hype autour de l'IA pourrait bien n’être qu’un gigantesque coup monté pour faire tourner la machine à cash de la Silicon Valley et de Wall Street 💸. Ce point de vue n’a pas manqué de vous faire réagir et Antoine Carrière, membre actif de notre communauté n’était pas du tout d’accord avec moi comme il l’a expliqué dans notre WhatsApp privé de L’Hacienda.
Du coup, je lui ai proposé de rédiger sa propre tribune sur le sujet. Voici donc, dans son intégralité, son analyse argumentée et passionnée sur la question.
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Non, la bulle de l'investissement IA n’éclatera pas.
Une tribune proposée par Antoine Carrière, membre de L’Hacienda.
Depuis début août, la question d’une potentielle bulle d’investissement en IA refait surface, surtout après la dégringolade soudaine des marchés financiers (Les Echos).
Les parallèles entre l’IA d’aujourd’hui et Internet d’hier sont nombreux et frappants : toutes deux sont des révolutions de l’informatique, des technologies "habilitantes" qui ne sont pas utiles en soi, mais qui permettent de faire plus vite, moins cher ou différemment. Comme Internet à ses débuts, l’IA est perçue comme une transformation radicale, avec des experts qui ne cessent de vanter ses promesses et les investissements massifs affluent, des centaines de milliards sont injectés pour construire des infrastructures et rendre ces technologies omniprésentes à l’échelle mondiale.
Un petit rappel de ce qu’on entend par "infrastructure" : c’est de l’eau, du sable, de l’électricité, des métaux rares pour construire des turbines, tuyaux, câbles, antennes, émetteurs, routeurs de trafic, et les processeurs qui gèrent et manipulent l’information. Bref, un monde de plus en plus dominé par des machines pour produire, stocker, et transmettre, avec une intervention humaine qui tend à diminuer.
Sommes-nous à la veille d’une nouvelle récession ?
On se souvient de l’effondrement du NASDAQ en mars 2000, une chute spectaculaire où 5000 entreprises cotées ont effacé en un an les gains des cinq années précédentes. Les faillites se sont enchaînées, les géants comme WorldCom, AOL, Nortel se sont écroulés, et même les survivants comme Intel, Verizon, AT&T, Vodafone ou France Télécom (Orange aujourd’hui) peinent encore à retrouver leurs valorisations de l’époque. Seules quelques exceptions comme Microsoft, Apple et AMD, qui avaient traversé cette période de turbulences, s’en sont sorties brillamment.
Mais alors, pourquoi cette fois c’est différent ?
Trois raisons à cela.
D’abord, le potentiel de l’IA est immense. Elle révolutionne l’informatique en offrant de nouvelles façons de résoudre des problèmes en simplifiant la description de ceux-ci. L’IA élargit donc considérablement le champ d’application de l’informatique, un secteur qui représente déjà 5000 milliards de dollars d’activité annuelle (voir Fig. 2).
Ensuite, contrairement à la bulle Internet, on est encore loin d’un excès d’investissements en IA. Actuellement, l’investissement en IA représente moins de 0,5 % du PIB mondial, contre un pic de 4,5 % lors de la bulle Internet des années 90 ou encore 3,5 % lors de la mécanisation de l’économie américaine au début du XXe siècle (Fig. 3). La limite n’est pas l’argent, mais la capacité physique à produire assez de puces et de machines pour suivre la demande des chercheurs et innovateurs.
Enfin, la vitesse d’adoption de l’IA est sans précédent. Le monde est aujourd’hui connecté, et le seul véritable frein à l’adoption de nouvelles technologies, c’est nous, notre comportement. Uber, TikTok, et plus récemment ChatGPT, ont prouvé que l’adoption rapide de nouveaux outils est possible, pourvu qu’ils soient réellement performants.
Quelques gagnants et beaucoup de perdants
Cela dit, cela ne veut pas dire que tous les investissements en IA seront rentables. Comme toujours dans les secteurs d’innovation, il y aura plus de perdants que de gagnants. Les géants de la Tech, qui ont pris position très tôt et en force, sont bien placés pour rafler la mise. En 2023, Big Tech a contribué à deux tiers des 27 milliards de dollars levés par les startups AI (source : Pitchbook via le Financial Times). Si l’on ajoute les 300 milliards d’investissements annoncés récemment par ces mêmes acteurs ces derniers mois (1, 2, 3, 4), il est évident que l’immense majorité des investissements vient des habitués de l’informatique et d’Internet.
Contrairement aux révolutions précédentes, ces géants avaient anticipé le potentiel de l’IA en recrutant les meilleurs chercheurs dès les années 2010 (Facebook, Google) et en leur fournissant des moyens colossaux pour créer des laboratoires à la pointe, bien plus avancés que ceux des universités les mieux financées. Alors oui, tout le monde ne gagnera pas, mais il y a fort à parier que les GAFAM capteront une large part des bénéfices.
Les nouveaux entrants auront bien du mal à tirer leur épingle du jeu. Les opportunités de sortie via des introductions en bourse seront rares, et la nécessité de se montrer rentable en restant indépendant sera d'autant plus difficile que les acteurs historiques ne manqueront pas de casser les prix pour protéger leurs acquis. Les rachats par les grands groupes seront eux aussi limités par les régulations antitrust qui refroidissent les ardeurs des “Corp Dev”. À moins que Apple, Amazon, Oracle ou Salesforce se sentent trop à la traîne et décident de dégainer le carnet de chèques?
Où investir pour maximiser ses chances? Très bonne question, nous nous la posons tous les jours dans l’Hacienda.
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A propos de l’auteur :
Antoine Carrière (LinkedIn) est basé dans la Silicon Valley depuis plus de 15 ans. Il a principalement occupé des fonctions de Stratégie Produit chez Google. Aujourd’hui, il travaille sur un projet secret.