La Tech dégraisse et l'IA s'installe
Entre licenciements massifs et ascension de l'IA : Comment la Silicon Valley redéfinit ses priorités et transforme le marché de l'emploi.
Le paysage de la Tech a radicalement changé depuis 2022. Une véritable hémorragie a touché l'industrie : plus de 385,000 emplois supprimés en l’espace de deux ans. Une tempête qui n’a pas épargné les géants de la Silicon Valley. Et tout a commencé avec un nom que nous connaissons tous : Elon Musk.
L’effet Elon Musk : quand la Tech découvre qu’elle peut faire autant avec moins
Lorsque Musk a racheté Twitter (désormais rebaptisé X), il n'a pas fait les choses à moitié. Licenciements massifs, suppression de plus de 80 % de l’effectif en seulement quelques mois… Le plus impressionnant, c'est que malgré ces réductions drastiques, la plateforme continue de fonctionner. Cela a créé un précédent. “Si Twitter pouvait tourner avec un effectif réduit à peau de chagrin, pourquoi pas nous ?”
Les dirigeants de la Tech n’ont pas tardé à suivre l’exemple. Meta, Google, Amazon… : tous ont entamé des vagues de licenciements sans précédent. Une dynamique qui semblait presque impossible à concevoir il y a quelques années, surtout après la pandémie où les employés de la Tech étaient devenus les enfants chéris de l’industrie. Pendant que d’autres secteurs souffraient, les travailleurs de la Tech étaient choyés, recevant des avantages et des salaires exorbitants, au point de se croire intouchables.
Mais tout a changé en 2023. Désormais, les jobs de la Tech comme ceux de l’industrie auparavant sont devenus eux-aussi une variable d’ajustement. Les entreprises tech ajustent leurs effectifs pour optimiser les profits et, surtout, répondre aux attentes du marché.
Les réseaux sociaux amplifient le phénomène
Le phénomène n’est pas seulement économique. Il est aussi social. Les licenciements dans la Tech prennent une tournure médiatique. De nombreux employés documentent leur éjection en direct sur TikTok, Instagram ou LinkedIn, générant des vagues de réactions. Cette viralité n’existait pas lors des précédentes crises économiques, et elle change la façon dont les licenciements sont perçus par le public et les médias. Une exemple, cette vidéo devenue virale sur TikTok d’une employée de Cloudflare qui découvre qu’elle fait partie des victimes de la charrette.
Un changement de modèle économique : des taux d’intérêt vs coûts humains
Mais pourquoi ces licenciements massifs alors que l'économie américaine est loin d'être en crise ? La Tech, elle-même, a largement profité du COVID, avec des capitalisations boursières atteignant des sommets inédits en 2021.
Le secret derrière ces succès ? Des taux d’intérêt historiquement bas. Pendant la pandémie, la Réserve fédérale a maintenu les taux proches de zéro, offrant aux entreprises tech un accès facile à des liquidités abondantes pour financer leur croissance.
Mais en 2022, lorsque la FED a commencé à augmenter ces taux, les entreprises ont dû repenser leur modèle. Fini le temps de la croissance à tout prix. Désormais, le profit devient la priorité, et avec lui la réduction des coûts – souvent par le biais de licenciements.
C’est ce que souligne Pierre, El Profesor dans le dernier épisode de Silicon Carne : “Ils se sont rendu compte qu’ils n’avaient pas besoin de tous ces gens. Ils les ont recrutés parce que c’était bon marché, mais dès que les coûts ont augmenté, ces employés sont devenus des variables d’ajustement.”
L’Europe peut-elle échapper à la tempête ?
La situation en Europe, et particulièrement en France, mérite qu’on s’y arrête un instant. Alors que les entreprises américaines de la Tech ajustent leurs effectifs avec une flexibilité que nous connaissons mal en Europe, les choses se compliquent sérieusement pour la French Tech. L'État français se désengage massivement du soutien aux sociétés innovantes.
La décision du gouvernement d’annuler certaines aides essentielles comme le statut de Jeune Entreprise Innovante (JEI) ou le Crédit d’Impôt Innovation (CII) est un véritable coup de massue pour les startups françaises. Ces dispositifs étaient des piliers du financement et du soutien aux jeunes pousses. Leur suppression crée une onde de choc dans l’écosystème tech français qui avance désormais comme un poulet sans tête. Les entrepreneurs doivent soudainement repenser complètement leur cash-flow. Certains devront se résoudre à des licenciements massifs, voire pire, à mettre fin à leur activité. En clair, pour beaucoup d’entre eux, l’avenir est plus incertain que jamais.
Ce désengagement de l'État a aussi des conséquences côté salarié. Les ingénieurs français, déjà sous pression, se retrouvent confrontés à des salaires moins compétitifs comparés à ceux de leurs homologues américains. Résultat ? De plus en plus de talents envisagent de tenter leur chance aux États-Unis, où les conditions sont jugées plus attractives. Je reçois moi-même de nombreux messages de jeunes ingénieurs me disant qu’ils en ont assez et qu’ils veulent partir ailleurs, là où leur expertise sera mieux valorisée.
Sans ces aides, la France va, une fois de plus, reprendre sa place de pays où le travail est le plus taxé, une situation qui ne manquera pas de pénaliser sa compétitivité sur la scène internationale. Comme je l’expliquais dans un de mes récents posts, ceux qui critiquent ces mesures d’économie sont vite étiquetés comme des "ultra-libéraux". Pourtant, le libéralisme prône, en réalité, la réduction maximale de l’intervention de l’État dans l’économie, laissant aux forces du marché le soin d’allouer les ressources et de stimuler l’innovation. Ce que nous constatons en France est tout l’inverse : un État interventionniste qui, paradoxalement, se retire économiquement sans alléger les réglementations. Ceux qui défendent cet État tout-puissant ne sont finalement que des "ultra-libéraux" d’opérette.
Aujourd’hui, l’État n’a tout simplement plus les moyens de soutenir la Startup Nation. C’est une réalité à laquelle il faut faire face. Reste à savoir si l’État va continuer à imposer des règles strictes tout en coupant les subventions. Si c’est le cas, la catastrophe est assurée. Toutefois, s’il choisit de réduire les contraintes administratives et d’encourager le transfert de compétences du public vers le privé, tout en stimulant l’investissement privé et étranger, alors peut-être que la French Tech pourra non seulement survivre, mais aussi grandir de manière autonome et durable.
Comme disait Warren Buffet, "C’est quand la mer se retire qu’on voit ceux qui se baignaient sans slip." Et pour l’instant, beaucoup de ceux qui profitent des aides de l'État risquent d’être rapidement de se retrouver à poil lorsque ces subventions s’évaporeront.
Le facteur IA : quand l’intelligence artificielle bouleverse l’emploi
Et puis, il y a l’apparition de l’intelligence artificielle. En 2023, l’IA a commencé à avoir un impact réel sur le marché de l’emploi tech. Les annonces de recrutement pour des développeurs ont chuté de plus de 60 % , tandis que la demande pour des experts en IA a explosé.
L’IA permet désormais de coder, automatiser des processus, et même de gérer le service client. Résultat : certains postes deviennent obsolètes, remplacés par des outils d'IA plus efficaces et moins coûteux.
Chaque révolution technologique rationalise les effectifs dans le secteur. Pour rappel en 2008, après l’explosion de la bulle Internet, la Silicon Valley employait 17 % de personnes en moins qu’en 2001. Aujourd'hui, nous assistons à une révolution similaire, mais cette fois-ci, elle est propulsée par l’IA.
Alors que les licenciements dans la Tech font les gros titres, le marché de l’emploi aux États-Unis reste étonnamment positif. Comment expliquer cela ? Beaucoup de ces employés licenciés ont choisi de créer leurs propres startups, tandis que d’autres se sont tournés vers des industries plus traditionnelles ou le gouvernement.
On observe un vent d’euphorie entrepreneuriale souffler sur la Silicon Valley. En 2023, plus de 15 milliards de dollars ont été investis dans des startups IA, et les prévisions pour 2024 atteignent déjà les 30 milliards.
L’ère des Giga Startups
Alors que certains parlent de la fin des licornes en Europe, la réalité est tout autre dans la Silicon Valley. Les startups ne se contentent plus de devenir des licornes ; elles le sont dès leur premier jour. Les levées de fonds se comptent désormais en milliards, et les entreprises IA les plus prometteuses attirent des capitaux à une vitesse fulgurante.
Dans cette nouvelle ère, les petits acteurs peinent à se faire une place face aux géants comme Nvidia, Microsoft, Google ou Meta, qui disposent de ressources quasi illimitées. Les startups doivent désormais trouver des niches ultra-spécialisées.
Le modèle **lean startup** qui permettait autrefois aux petites entreprises d’innover plus rapidement que les géants semble aujourd’hui dépassé. Dans l’univers de l’IA, les coûts d’entrée sont devenus si élevés que seuls les plus gros acteurs peuvent se permettre de rivaliser.
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L’histoire de la Silicon Valley nous a appris que dans chaque crise, il y a une opportunité pour ceux qui savent s’adapter.
Excellente lecture et interessante perspective. Important de garder en tete que les donnees d'ADP ne font pas l'unanimite. Suivons de pret les prochaines perspectives du BLS (Bureau of Labor Statistics, l'INSEE americain). Pour l'instant, ils restent assez confiant sur les perspectives des developers https://www.bls.gov/ooh/computer-and-information-technology/software-developers.htm#tab-6